FORÊT DE FONTAINEBLEAU, souvenir de Stalava Bulgari.
Le temps le plus heureux de ma vie fut celui de mes promenades pittoresques dans la forêt de Fontainebleau. Loin des grandes cités et de leurs bruyant plaisirs, loin des factions des mauvais citoyens et hors des ateliers de peinture si rétrécis et si malsains, je respirais l’air pur et aromatique de cette forêt riche et variée, qu’habitent la tendre colombe, le sautillant écureuil et la biche à la course légère.
On n’est assujéti dans ce vaste atelier ni aux fausses règles de la routine, ni aux caprices des modèles imparfaits ; on a pour guides et pour modèles les chefs-d’œuvre de la nature qui ne trompent jamais.
Ce fut à la fin du mois de juillet 1821, que j’arrivai au village de Chailly, situé près de la forêt : après m’être assuré d’une chambre dans une auberge où étaient logés plusieurs paysagistes, je continuai ma route avec un de ces jeunes artistes qui allait y joindre ses camarades. Son costume avait quelque chose de bizarre et de curieux : un grand chapeau rabattu ombrageait son front et couvrait ses longs cheveux, une blouse de toile grise lui servait d’habit et de torche-pinceaux; des guêtres de même étoffe et une chaussure urinée de gros clous garantissaient ses jambes grêles et ses pieds délicats; à sa vieille ceinture bigarrée étaient enfilés les bâtons de sa chaise de campagne; d’une main il tenait une grande toile à peindre, de J’autre une pique pour assujétie son parasol lorsqu’il peignait ; il portait sur le dos en guise de havresac une boite à couleurs et un chevalet. Ce fantasque accoutrement attirait le long du chemin les regards des voyageurs, et donnait lieu à des saillies aussi piquantes que gaies.
En entrant dans la forêt on voit de chaque côté de la roule qui la traverse de grandes masses d’arbres de haute futaie; leurs belles percées qui se prolongent à perte de vue ressemblent à des portiques, et les branches des hêtres et des chênes qui les bordent, à des festons et à des guirlandes; ces balançoires des nymphes et des sylvains ne rappellent pas les divinités barbares auxquelles cette forêt était consacrée, non plus qu’aucun des rochers qui la couronnent ne retrace le souvenir de cet autel affreux sur lequel les druides accomplissaient leurs sacrifices humains.
Ami de la solitude et des charmes du passé, je pénétrai dans un massif de vieux chênes du Bas-Bréau pour y rêver a loisir tant l’antiquité de ces arbres prophétiques, l’épaisseur de leur feuillages, et le silence profond qui y régnait, me rappelèrent la forêt de Dodone, voisine de Corcyre ma patrie. Le doux souvenir de cette forêt sacrée dont jadis mes pas avaient foulé le sol, remplit mon âme d’un sentiment méditatif et religieux.
Portant alors mes pas au hasard je me trouvai dans un espace vide occasionné par la chute d’un chêne couronné de lierre. La vue de ce majestueux et colossal cadavre abattu par la violence des vents conjurés fut pour moi l’image de Napoléon, dont la puissance expira au milieu de cette même forêt.
Sorti de cette emblématique futaie, une autre scène non moins grave frappa mes sens encore émus; des sables brûlants éblouissaient ma vue; des rochers entassés les uns sur les autres occupaient mon esprit, et l’aspect sauvage des gorges d’Apremont fit sur moi une vive impression; en avançant dans ce repaire de reptiles et de hiboux, j’entendis le sifflement de la vipère et le cri sinistre de ces oiseaux lugubres qui ne se plaisent que dans les ruines et sur les tombeaux ; en effet, le bouleversement et l’entassement de ces rocs les font ressembler à des ruines ; et leurs longues traînées qui se dirigent du nord au midi, indiquent les traces d’un cataclysme et de la retraite des eaux. Revenu de ma surprise et de mes rêveries, je quittai les gorges d’Apremont pour visiter un vieux chêne dont la couleur, la forme et la vétusté font l’admiration des artistes et l’ornement de la forêt. C’était à l’ombre de ce patriarche des bois, surnommé la reine Blanche, que nous prenions, les jeunes peintres auxquels je m’étais associé et moi, nos repas du matin, et que nous vidions en l’honneur de son antiquité, quelques coupes de vin. Après la collation nous reprenions nos palettes sous l’épais et frais ombrage des chênes et des ormeaux où la bruyère fleurie exhalait ses parfums, et la mousse et la tendre fougère s’offraient pour lit de repos. Le temps s’écoulait rapidement, et l’approche de la nuit si fertile en pittoresques effets, venait suspendre nos travaux pour nous présenter des teintes plus douces et des tableaux plus pathétiques, plus mystérieux.
Les ombres couvraient graduellement la forêt, les derniers rayons du soleil qui en doraient la cime, coloraient l’horizon; le daim craintif s’élançait avec confiance dans la clairière; on entendait le sanglier dans le fond du bois, broyer lo gland, de set dents tranchantes ; le rusé renard attendait que le lapin, sortant de son terrier, vint lui offrir sa proie ; la tourterelle faisait entendre ses longs roucoulements, et l’écureuil espiègle, sautant du branche en branche, venait jouer jusqu’auprès de nous. On voyait auui au sommet des rochers paraître sous un ciel enflammé la biche amoureuse, et à son côté le cerf préféré ; de loin suivait en bramant celui dont elle repoussait les feux. Ces admirables scènes s’évanouissant dans les ombres comme les météores se perdent dans les deux, nous quittions alors les pinceaux, et reprenions le chemin du village en adressant des hymnes agrestes aux divinités des bois.
A peine arrivés au logis, quoique nos premiers regards s’arrêtassent sur la jolie fille de notre hôtesse, comme la beauté n’a pas la vertu d’apaiser la faim qui presse, nous demandions à grands cris le souper. A peine servis, les viandes disparaissaient de la table comme par enchantement, les autres mets n’y figuraient pas plus long-temps , Pomone, malgré sa prodigalité, était toujours à court; le vin, quoique versé avec mesure, opérant son merveilleux effet, nous rendait discoureurs et savants; les uns s’entretenaient des arts et de ia beauté, les autres que le doux nectar avait échauffés le plus, se croyant aux portiques d’Athènes et sur l’Hélicon, philosophaient comme des Socrate et chantaient comme des Anacréon.
Tels sont les souvenirs de la vie douce et animée que je passai, avec les jeunes artistes, dans les solitudes délicieuses que chérissait François 1er, et qui réunissent le charme des plus beaux sites aux avantages de la salubrité.
l’Angelus, cet établissement est né de la volonté des habitants de la maison formant une ferme qui ont vu avec l’arrivée du tramway l’occasion de changer de condition, malheureusement, celui ci ne dura pas et le nom fut repris par la famille Bouvard qui l’installa à sa place actuelle, à l’origine il était situé au 64, Grande rue.